par Jacques Deperne
<< [C'est] l'histoire du voleur de hache. Un jour,
un homme ne trouva plus sa hache. Selon lui, de toute évidence, le
coupable ne pouvait être que le fils du voisin. Il se mit à
l'observer. L'allure de ce garçon était celle d'un voleur de
hache, l'expression de son visage respirait à cent lieues le voleur
de hache, sa façon de parler était très exactement celle
d'un voleur de hache. Tous ses gestes, tous ses mouvements, tout son être,
exprimaient sans l'ombre d'un doute le voleur de hache... A force de faire
les cent pas en épiant son voisin sans prendre garde où il
mettait les pieds, l'homme trébucha sur le manche d'un outil légèrement
enfoui dans le terre. Et cet outil, vous l'avez deviné, n'était
autre que sa hache. Le lendemain matin, il regarda par habitude le fils de
son voisin. Tout son comportement, toutes ses attitudes, tout son être
n'avaient plus rien d'un voleur de hache !
[...] Combien de nos certitudes, de nos convictions, et finalement de
nos préjugés, ont été inscrits en nous à
partir de simples émotions. Des émotions qui remontent parfois
très loin dans le passé. Qu'elles soient positives ou négatives,
comme disent les bouddhistes tibétains, les émotions déforment
le réel, changent la réalité des faits, au point de
nous entraîner parfois à croire à ce que nous espérons.
"Si tu attends un ami, ne confonds pas les battements de ton coeur avec le galop de son cheval",
enseigne l'un des plus sages et des plus pertinents proverbes de la Chine
antique. La première liberté, pour accéder à
une véritable connaissance de soi, mais aussi pour progresser sur
un chemin spirituel, consiste à maîtriser ses émotions.
Elles sont si souvent à l'origine d'un processus mental qui se traduit
par des blocages dans tous les domaines.>>
<< [C'est] l'histoire d'un jeune veuf qui vivait avec son
fils, un enfant de sept ans pour lequel il éprouvait une immense affection.
En rentrant chez lui, un soir, il trouva sa maison totalement incendiée.
Dans les décombres, au milieu des gravats encore brûlants, il
découvrit, horrifié, les cendres d'un cadavre. Dans la certitude
qu'il ne pouvait s'agir que de son enfant, il pleura des torrents de larmes,
avant de procéder aux rites funéraires. Tous les jours de sa
vie, il porta noué à sa ceinture, un petit sac contenant ce
qu'il avait pu récupérer des cendres du corps calciné.
Or, contrairement à toutes les apparences, son fils n'avait pas péri
dans l'incendie. Des brigands, ceux qui avaient mis le feu à la maison
en perdant dans les flammes l'un des leurs, l'avaient enlevé pour
en faire un esclave. Au bout de quelques années, l'enfant faussa compagnie
à ses geôliers. Tard dans la nuit, il retrouva l'orée
du bois de son enfance et la maison reconstruite à l'identique. Le
coeur serré, il frappa à la porte. "Qui êtes-vous ?", demanda le père depuis sa chambre. "Je suis votre fils !" - "Vous mentez ! Mon fils est mort il y a plusieurs années !" - "Mais non, protesta le jeune homme tout étonné, je suis votre enfant !" - "Vous mentez, répéta le père, mon fils a été carbonisé dans un incendie, d'ailleurs je porte ses cendres !"
Le fils eut beau répéter qu'il se trompait, le père
refusa de l'entendre, la main posée sur le sac de cendres. Parti loin,
très loin dans la plaine, le fils ne revint plus jamais. Le père
vieillit et mourut sans jamais revoir l'enfant tant aimé.
Ne sommes-nous pas tous, à des degrés divers, porteurs
de sacs de cendres ? Toutes ces idées reçues, qui deviennent
rapidement des vérités définitives tellement sécurisantes
et confortables, ne rendent pas seulement nos esprits et nos coeurs incapables
d'accueillir, de recevoir. Beaucoup de ces sacs de cendres sont aussi, hélas,
à l'origine de toutes les formes de fanatismes.>>
tiré de l'Actualité des religions n°10 - novembre 1999
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