Partie IV :  
Caractérisation des interactions de TolAIII avec ses partenaires



Le domaine TolAIII joue un rôle central dans la translocation des colicines du groupe A et dans la translocation de l’ADN des phages filamenteux Ff. TolAIII se lie au domaine N-terminal de la colicine A (ATh) et au domaine N-terminal de la protéine d’enveloppe de phage g3p (g3p N1) et cette liaison est corrélée avec l’étape de translocation, encore mal comprise. Nous avons cherché à connaître l’effet de ces liaisons sur TolAIII. Nous avons également étudié la liaison de TolAIII avec d’autres protéines du système Tol-Pal (TolB, TolR et Pal). Un rappel méthodologique de l’étude par RMN de la formation de complexes est donné dans la partie VII.

IV.A. Liaison de TolAIII avec ATh et avec g3p N1

IV.A.1. Résultats publiés

La liaison de TolAIII avec ATh, le domaine N-terminal de la colicine A, a été caractérisée par plusieurs techniques (immunodétection, coprécipitation, filtration sur gel, titrage suivi par HSQC 1H–15N, mesure de constante de diffusion par DOSY, dichroïsme circulaire dans la région des UV lointains, mesure de l’effet nucléaire Overhauser hétéronucléaire {1H}–15N). Les résultats sont présentés dans un article publié dans Biochemistry (Deprez et al., 2002). La formation du complexe TolAIII3*–ATh est quasi-quantitative et les formes libre et liée de TolAIII3* sont en échange lent. TolAIII3* lié à ATh est caractérisé par une propension à former des éléments de structures secondaires sans posséder toutefois une structure tertiaire rigide. Contre toute attente, la flexibilité de TolAIII3* est ainsi augmentée lors de la liaison à ATh. Le spectre HSQC 1H–15N et les valeurs des nOe hétéronucléaires de TolAIII3* libre et lié à ATh sont présentés sur les figures 26 et 27.

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Figure 26 : Spectre HSQC 1H–15N de TolAIII3(0,1mM) libre (noir) et lié à ATh (rouge)

 

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Figure 27 :  Mesure de l’effet Overhauser hétéronucléaire {1H}–15N pour la chaîne principale de TolAIII libre et TolAIII lié à ATh. (A) Attribution séquentielle des valeurs de nOe hétéronucléaire de TolAIII. (B) Valeurs de nOe hétéronucléaires de TolAIII lié à ATh, classées (arbitrairement) par ordre croissant.

 

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Figure 28 : Spectre HSQC 1H-15N de TolAIII3(0,1mM) libre(noir)et lié à g3p N1(rouge)

Par ailleurs, la liaison de TolAIII3* avec g3p N1, le domaine N-terminal de la protéine d’enveloppe de phage g3p, a été suivie par HSQC 1H–15N lors d’un titrage décrit dans le même article. Ici aussi, la formation du complexe TolAIII3*–g3p N1 est quasi-quantitative et les formes libre et liée de TolAIII3* sont en échange lent. Cependant, TolAIII3* lié à g3p N1 conserve une structure tertiaire rigide, comme on pouvait s’y attendre d’après les données cristallographiques (Lubkowski et al., 1999). De façon surprenante, l’immense majorité des pics de corrélation 1H–15N se déplace, ce qui suggère que la liaison de g3p N1 à TolAIII3* affecte ce dernier domaine au-delà de l’interface entre protéines.

Les différences de comportement de TolAIII3 lors de son interaction avec ATh d’une part et avec g3p d’autre part conduisent à penser que les stratégies de translocation des colicines et des bactériophages ne sont peut-être pas identiques. Cela paraît raisonnable dans la mesure où leur mode d’action diffère également. Alors que les colicines détruisent la cellule, les bactériophages se contentent de détourner sa machinerie et la cellule bactérienne reste viable (Russel et al., 1997).


IV.A.2. Résultats complémentaires :
possibilités d’étude du complexe TolAIII3*–ATh

Le spectre HSQC 1H–15N de TolAIII3*–ATh est caractérisé par une faible dispersion spectrale et une largeur de raies dues une situation d’échange intermédiaire. La poursuite de l’étude du complexe par RMN se heurte à de nombreux recouvrements de pics. Une stratégie pour lever les ambiguïtés indésirables dans la région centrale du spectre consiste à étendre celui-ci selon une troisième dimension suivant le déplacement chimique d’un atome peu sensible aux fluctuations conformationelles, par exemple le carbone du carbonyle peptidique. Un spectre 3D–HNCO enregistré sur un échantillon doublement marqué de TolAIII3** 0,5 mM lié à ATh en léger excès permet de distinguer 34 pics de corrélation dans cette région. Si cette technique permet de lever certaines dégénérescences, elle ne résout en rien les problèmes de coalescence et s’avère donc insuffisante pour envisager par exemple une attribution des résonances…

Les problèmes de sensibilité (coalescence) rencontrés lorsque la constante d’échange est du même ordre de grandeur que la différence de fréquence des résonances (échange intermédiaire) peuvent difficilement être résolus par des méthodes spectroscopiques. Afin de réduire d’un facteur 2 la différence de fréquences de résonances, j’ai enregistré un spectre HSQC 1H–15N à 400 MHz au lieu de 800 MHz, mais aucune amélioration significative n’a pu être observée. En revanche, en modifiant la température de l’échantillon, on modifie les paramètres cinétiques d’échange et on observe une évolution notable du spectre HSQC 1H–15N (apparitions et disparitions de pics, figures 29 et 30). Cette expérience met en évidence la grande sensibilité de la dynamique de TolAIII3* lié à ATh, mais ne permet pas d’obtenir un spectre de qualité suffisante pour envisager une étude approfondie du complexe dans les conditions présentes.

 

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Figure 29 : Spectres HSQC 1H–15N de TolAIII3* (0,5 mM) lié à ATh à 2 °C.

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Figure 30 : Spectres HSQC 1H–15N de TolAIII3* (0,5 mM)  lié à ATh à 57 °C.

 

IV.B. Liaison de TolAIII avec des domaines de TolB, TolR et Pal

Comme nous l’avons vu, la protéine TolA fait partie d’un système complexe, le système Tol-Pal (figure 12), au sein duquel elle interagit avec de multiples partenaires. La compréhension de la translocation des colicines et de l’ADN de bactériophages passera par une vision d’ensemble du système.

Outre l’interaction de TolAIII avec les domaines de translocation de la colicine A et de la protéine d’enveloppe de phage g3p, nous avons donc voulu caractériser l’interaction de TolAIII avec d’autres protéines du système Tol-Pal. Plusieurs essais d’interaction ont ainsi été effectués en mettant en présence, dans le tube RMN, l’une des constructions de TolAIII marquée 15N et un léger excès de partenaire. Le choix des partenaires a été guidé par l’étude systématique des interactions au sein du système Tol-Pal par la technique du double hybride (Walburger et al., 2002).

L’un des facteurs limitants pour une étude par RMN étant la faible sensibilité de cette spectroscopie, on cherche à atteindre la plus haute concentration de la protéine que l’on souhaite observer (ici TolAIII*). Or dans les conditions idéales d’observation d’un éventuel complexe entre protéines[34], la concentration de TolAIII* doit être inférieure ou égale à celle du partenaire. C’est donc la concentration du partenaire qui limite in fine la qualité de l’observation. Les partenaires de TolAIII pouvant atteindre des concentrations peu élevées comparativement à TolAIII, nous avons cherché à limiter les dilutions en ajoutant un petit volume de TolAIII* très concentré à un volume d’observation (entre 200 µL[35] et 500 µL) du partenaire peu concentré. Le témoin, TolAIII* libre, a été observé indépendamment.

IV.B.1. Liaison entre TolAIII et TolB

L’interaction entre TolB et le domaine C-terminal de TolA (résidus 301 à 421) a été démontrée par la technique du double hybride (Walburger et al., 2002). En outre, les auteurs ont observé que la délétion de TolB D1, domaine N-terminal de TolB (résidus 1 à 144), abolissait cette interaction mais que l’interaction du seul domaine TolB D1 avec TolAIII était maintenue. Néanmoins, la liaison de TolAIII est plus faible avec TolB D1 qu’avec la protéine TolB entière. Enfin, une double mutation de TolAIII sur les résidus Y353H et V408E supprime l’interaction avec TolB.

Nous avons tenté d’observer l’interaction entre TolAIII et TolB sur un spectre HSQC 1H–15N. Mais aucune modification significative du spectre de TolAIII3* n’a pu être enregistrée en présence de TolB D1. Aucune modification n’a été observée non plus en présence de la protéine TolB entière.

La différence d’état d’oxydation de la protéine TolAIII entre les expériences de double hybride (milieu réducteur) et les expériences de RMN (protéine TolAIII3 oxydée) pourrait être invoquée pour expliquer le désaccord observé. L’expérience de RMN a donc été renouvelée sur l’échantillon de TolAIII2* cytoplasmique réduit et à un pH inférieur (pH=5) permettant d’atteindre des plus grandes concentrations de TolB. Dans ces conditions (satisfaisantes pour TolAIII2* seul), nous observons, après ajout de TolB,  un spectre HSQC 1H–15N de mauvaise qualité et une floculation de l’échantillon dans le tube. Ce résultat peu satisfaisant suggère néanmoins une possible interaction entre les partenaires, provoquant la formation d’un complexe insoluble et donc la floculation.

Seule l’interaction de TolB avec la construction cytoplasmique longue TolAIII1* donne un résultat positif. En présence de TolB, on observe en effet sur le spectre HSQC 1H–15N de TolAIII1* (figure 31) la disparition nette de quelques pics de résonances, notamment dans la région médiane du spectre (correspondant à la séquence en amont des constructions courtes, voir figures 19 et 20). Bien que l’attribution systématique des résonances de la forme TolAIII1 n’ait pas été réalisée, une comparaison du spectre avec celui (attribué) de la forme TolAIII2 permet, dans les régions clairsemées du spectre, d’attribuer sans risque des résonances manquantes aux résidus G331, S333, G334, A335 et des résonances non manquantes aux résidus N338, N339, A341, G342…

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Figure 31 :   Spectre HSQC 1H–15N de TolAIII1 (0,1 mM)  libre (noir) et en présence de TolB (rouge) à 27 °C, pH=6,8.

Ces résultats suggèrent qu’une zone comprise entre les résidus 301 et 337 intervient dans l’interaction in vitro du domaine N-terminal de TolA avec TolB.

Néanmoins, cette conclusion est difficile à concilier avec les récents résultats de mutagenèse obtenus par ailleurs. En effet, outre la double mutation de TolAIII sur les résidus Y353H et V408E qui supprime l’interaction avec TolB (Walburger et al., 2002), des mutations de TolA sur les résidus F352I, F352C ou Y353I ont pu être complémentées par une mutation (D120N) sur TolB (Dubuisson et al., 2002). Les résidus antérieurs à I337 (I26) sont situés avant la première hélice de TolAIII. Les résidus F352 (F31) et Y353 (Y32) sont situés dans la boucle qui suit la première hélice de TolAIII. Le résidu V408 (V87) est situé sur la dernière hélice de TolAIII.

Les résultats de RMN mériteraient ainsi d’être corroborés par des expériences complémentaires. En particulier, l’étude de l’interaction de TolAIII1* avec le domaine TolB D1 est en préparation.

IV.B.2. Essais de liaison entre TolAIII3 et Pal

L’interaction entre Pal et TolA a été étudiée récemment de manière approfondie (Cascales et al., 2000). In vitro, la quantité de Pal copurifiée[36] avec le domaine TolAIII3 est plus grande que la quantité de Pal purifiée de manière non-spécifique. Un pontage chimique au formaldéhyde a pu être réalisé entre ces protéines, mais cet agent pontant a été le seul à révéler l’interaction entre TolAIII3 et Pal. In vivo, la liaison entre TolA et Pal requiert les protéine TolQ et TolR (Cascales et al., 2001) et est observée seulement en présence de la force proton-motrice, mais la coimmunoprécipitation de Pal avec TolAIII3 est observée même en présence d’un agent destructeur de la force proton-motrice.

La technique du double hybride n’a pas révélé de liaison entre TolAII-III (résidus 66 à 421) et Pal (Walburger et al., 2002).

Nous n’observons pas non plus de liaison entre TolAIII3 et une forme hydrosoluble[37] de Pal, puisqu’un spectre HSQC 1H–15N de TolAIII3* n’est pas modifié significativement en présence de ce partenaire.

IV.B.3. Témoin négatif de liaison entre TolAIII3 et TolRII-III

Un pontage chimique de la protéine TolA a pu être réalisé avec la protéine TolR, mais pas avec la protéine TolR amputée de son domaine transmembranaire et dénommée TolRII-III (Journet et al., 1999).

La technique du double hybride n’a pas révélé de liaison entre TolAII-III (résidus 66 à 421) et TolRII-III (Walburger et al., 2002).

Sans surprise, nous n’observons pas non plus de liaison entre TolAIII3 et TolRII-III[38], puisqu’un spectre HSQC 1H–15N de TolAIII3* n’est pas modifié significativement en présence de ce partenaire. Cette expérience de contrôle constitue un témoin négatif pour les interactions de TolAIII* avec ses partenaires.

IV.C. Tableau récapitulatif des interactions
étudiées par RMN entre TolAIII* et ses partenaire
s

Construction

Partenaire

TolAIII 1*

TolAIII 2* +DTT

TolAIII 3*

Domaine ATh

flexibilité augmentée

flexibilité augmentée

flexibilité augmentée

Colicine A entière

 

 

flexibilité augmentée

Fragments trypsiques de ATh

 

 

spectre

inchangé

Domaine g3p N1

 

 

liaison déformante

Domaine TolB D1

 

 

spectre inchangé

TolB entière

liaison localisée

floculation

spectre inchangé

Domaine Pal hydrosoluble

 

 

spectre inchangé

Domaine TolRII-III (contrôle)

 

 

spectre inchangé

Tableau 7 : Récapitulatif des interactions suivies par HSQC 1H–15N entre les différentes constructions de TolAIII* et ses partenaires.